Transcription d’un dialogue de l’invisible
Destiné à composer un feuilleton radiophonique, ce texte s’est imposé à moi, à l’oral : j’ai « entendu » ce dialogue de l’invisible, échangé entre deux âmes. L’une revient tout juste de son séjour sur Terre, l’autre n’y est jamais allée. L’occasion d’une apologie de la beauté du moindre geste terrestre.
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Extraits
– Le bourgeon au bout de la tige, il est devenu une plante ? Tu l’as vue ?
– Il est devenu un arbre. Un très grand, un très bel arbre. T’en fais pas le tour de tes bras. C’est tout un monde. Aussi bien quand tu approches tes yeux de son écorce que quand tu les lèves sur sa frondaison. L’écorce, c’est des rivières et des rivières de bois. Certaines se croisent et d’autres jamais. Pourtant elles font partie du même arbre. Elles le dessinent ensemble. Elles ne sont rien sans lui. Ni lui sans elles. Tu peux les suivre de tes doigts ou simplement des yeux.
– (Haha) Et tu peux les sentir aussi ?
– Oui.
– Ça sent quoi ?
– Ça sent la résine, la terre éclose, la nuit, ça sent la mousse et l’humus. Et quand tu le caresses c’est rugueux comme une main de paysan.
(Silence)
– Eeeh ben. Tout ça sorti de ta petite forme jaune soleil ?
– Oui.
– Pourquoi t’as pas choisi d’être un arbre plutôt ?
– Je voulais connaître le temps des hommes. Celui des arbres me semblait trop proche du nôtre… mais je me trompe peut-être.
*
– Ton arbre, c’était un arbre à fruits ?
– Non. Mais c’est pas grave.
– T’en as vu des arbres à fruits ?
– On dit des arbres fruitiers. Oui. Oui j’en ai vu.
– C’est vrai que les fruits, c’est bon comme de la nourriture ?
– C’est de la nourriture. C’est fin, doux, sucré et c’est donné par l’arbre, tu n’as qu’à te servir.
– Un peu comme tout pour nous ici, quoi.
– Oui, sauf que là-bas c’était rare, surtout à la fin.
– Tous les fruits ont le même goût ?
– Ni les mêmes goûts, ni les mêmes formes, ni les mêmes couleurs.
– C’était beau ?
– Très beau !
– C’était bon ?
– Très bon !
– C’était quoi, tes préférés ?
– Les poires.
– Pourquoi les poires ?
– Parce que quand tu les laissais fondre sur ta langue, à la fin, tu retrouvais le poudré de la terre, d’où elles venaient. C’était comme un dernier hommage.
À écouter